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Alors que les marques de luxe luttent contre la contrefaçon depuis des décennies, une nouvelle catégorie de faux trompe les experts les plus avisés. On les appelle les superfakes. EBRAND vous invite à découvrir les coulisses de ce marché de l’illusion.

 

On peut dater du 18e siècle les premières contrefaçons de vêtements et d’accessoires de mode alors que paraît le premier titre de presse consacré à la mode, le « Cabinet des Modes ». Suivi de nombreux autres, il contribue à propager le goût parisien et à faire naître des vocations de couturières fort douées qui parviennent à reproduire les modèles préférés d’une clientèle aisée. Puis l’industrie du prêt-à-porter et l’ouverture des premiers grands magasins concourent à diffuser, chaque saison, les nouvelles créations et autant de ces contrefaçons bon marché qu’on s’amuse à dénicher l’été sur les marchés de Vintimille, de San Remo et d’ailleurs… Du tee-shirt Chanel au sac Vuitton, elles sont faciles à détecter et ne trompent personne.

Si les marques de luxe ont toujours suscité la convoitise et la contrefaçon, le phénomène prend cependant une tout autre ampleur à la fin des années 80 et se généralise au tournant de l’an 2000 : le nom du fabricant devient désormais plus important que le vêtement lui-même. Une aubaine pour les marques, dont les logos deviennent un symbole de statut social, et une raison supplémentaire pour ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir « la » marque, de se tourner dans un premier temps vers les marchés de rue et leurs pâles copies, puis vers Internet et les réseaux sociaux. Mais les contrefaçons d’aujourd’hui ne ressemblent plus aux précédentes et ne sont pas si bon marché qu’on le croit…

 

UNE MYSTIFICATION SOPHISTIQUÉE

 

Depuis quelques années déjà, les fabricants de faux se sont en effet améliorés au point de reproduire des articles de marques et de créateurs à la perfection, rendant leurs imitations quasi indétectables. Ils s’approvisionnent chez les mêmes fournisseurs que les marques de luxe – le plus souvent en Italie-, achètent en boutique de vrais modèles pour les étudier puis les reconstituer au point près… Bref, ils utilisent les techniques les plus sophistiquées pour produire ces faux « haut de gamme » vendus à un prix largement inférieur à celui du produit original à des clients prêts à casser leur tirelire pour payer 2 000 € au lieu de 10 000, malgré les risques encourus.

 

COMMENT LES SUPERFAKES ATTAQUENT LE MARCHÉ

 

Les plus récentes estimations évaluent à 1,9 milliard de dollars le marché mondial de la contrefaçon pour les seuls produits de luxe. Or ce chiffre ne représente guère qu’une partie émergée de l’iceberg : les faussaires ne publient pas leurs résultats ; de nombreux faux échappent à toute détection, douanière ou autre ; les victimes ne se manifestent pas systématiquement ; surtout, il ne tient pas compte du changement d’échelle provoqué par l’irruption du Covid suivi par le boom du commerce électronique qui, en facilitant la diffusion de produits, stimule le marché de la contrefaçon. Les fraudeurs s’immiscent partout, sur les sites de vente en ligne ou les réseaux sociaux, TikTok, Instagram, WhatsApp… via des filières bien organisées qui écoulent des produits contrefaits provenant en majorité de Chine. Parmi ces produits, les superfakes, et notamment des répliques de sacs à main des plus grandes marques de luxe.

 

« LE CODE A CHANGÉ »

 

Ces marques de luxe, réputées inaccessibles au commun des mortels, ont toujours suscité attrait, envie, voire jalousie. Aussi est-ce un véritable défi que leur lancent aujourd’hui les plus jeunes générations, aidées en cela par des contrefacteurs capables de reproduire quasi parfaitement le sac à main rêvé. Et tant pis pour Chanel, Gucci, Hermès et les autres…

Le code a changé en effet, avec la génération « Gen Z » (née entre 1997 et 2012) qui, dit-elle, n’a pas envie de se faire avoir et agit en rébellion contre les excès du capitalisme, en trouvant plutôt cool d’arborer fièrement ces imitations vantées par les influenceurs et mises en avant sur les réseaux sociaux. Amy Wang, journaliste et auteure d’une enquête publiée sur « The Sidney Morning Herald » explique pourquoi : « le fait que les profits générés par la production en série n’arrivent que dans une seule poche, celle d’une grande entreprise, est précisément la raison pour laquelle de nombreux jeunes consommateurs considèrent que les faux sacs sont préférables aux vrais. Pour eux, la contrefaçon de luxe – dans un monde déjà inondé de faux à bas prix – n’est pas un scandale contraire à l’éthique ». Ce serait même l’inverse !

Un avis, bien sûr, qui ne peut être partagé par les marques qui luttent en permanence contre la contrefaçon et les fraudeurs. Pourtant, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, cette génération « Z » qui représente 17 % de la population française, soit 11,6 millions de personnes âgées de 10 à 26 ans, et qui ignore ce qu’était le monde sans Internet, met en tête de ses valeurs l’authenticité (dans le sens d’être en accord avec soi-même) et la durabilité. Raison pour laquelle les « Z » aiment voir et toucher ce qu’ils achètent et recherchent les marques partageant ces priorités, quitte à payer davantage pour un produit durable, par exemple. Ils accordent volontiers leur confiance aux influenceurs, pratiquent l’achat/vente sur les réseaux sociaux mais effectuent moins d’achats sur les sites de e-commerce que la génération précédente. Enfin, si vous souhaitez capter leur attention, il faudra le faire en moins de 8 secondes chrono !

 

OÙ SONT VENDUS CES SUPERFAKES ?

 

Inutile de fureter du côté du Faubourg-Saint-Honoré ou de l’avenue Montaigne, vous n’en trouverez pas. Il vous faut parcourir Internet, les sites de vente spécialisés, tels que la boutique en ligne repladies.com, les réseaux sociaux, notamment TikTok où de nombreuses vidéos circulent et/ou des blogs comme celui de « 187Factory ». Votre choix est fait ? Action : le plus simple est d’être coopté afin d’être mis en relation avec un vendeur, à moins que vous ne contactiez l’un ou l’autre des meilleurs intermédiaires répertoriés sur certains sites ou blogs. Sous réserve de votre paiement préalable, celui-ci transmet au fabricant votre commande, laquelle sera livrée sous 3 semaines environ. Vous pourrez même contrôler la qualité de la fabrication si votre intermédiaire vous envoie des photos tout au long du processus. Et le prix ? Selon le sac choisi – dimensions, type de cuir, teinte, etc. -, il faudra débourser entre 600 et 4 000 $ (2 000 $ environ pour un faux « Birkin » au lieu de 10 000 $ si vous achetez son équivalent original chez Hermès). Un coût qui peut parfois égaler ou dépasser le prix d’un vrai sac d’occasion en bon état acheté sur un site de revente*.

*À savoir : l’achat d’un original d’occasion peut être considéré comme un investissement, à tel point que sur le marché de la revente, le prix d’un sac en excellent état peut largement dépasser celui d’un neuf, car il est devenu « collector ».

 

COMMENT PROCÈDENT LES EXPERTS POUR IDENTIFIER LES SUPERFAKES

 

Sur le bureau, deux sacs, identiques à première vue. L’un d’eux est un faux, enfin un superfaux, et notre expert doit déterminer lequel. Pour cela, il va d’abord solliciter trois sens : la vue car, explique-t-il, « un article peut être trop parfait, si parfait même qu’en le regardant attentivement, on sait que quelque chose cloche » ; puis le toucher et l’odorat, décisifs pour reconnaître un cuir, savoir s’il est pleine fleur (cuir sans défaut d’origine) et juger ses qualités notamment la finesse du grain et la souplesse du matériau.
C’est ensuite élément par élément que l’expert va procéder à l’examen de chaque sac. Un outil va particulièrement l’aider, une caméra pouvant grossir jusqu’à 260 fois. Grâce à son laser, celle-ci peut analyser le sac et en révéler toutes les anomalies, jusqu’au trou le plus minuscule indécelable à l’œil nu dans le grain du cuir, un logo mal reproduit ou un marquage réputé infalsifiable…
Le superfake identifié, reste à remonter la filière pour trouver et stopper les contrefacteurs. Une opération difficile car les experts font face à une véritable « Armée des ombres », organisée de façon extrêmement hiérarchisée et compartimentée, de façon à n’établir aucun lien entre les vendeurs « intermédiaires », concepteurs, fabricants et autres maillons de la chaîne. Et surtout, une opération à renouveler souvent en raison de la réactivité des fraudeurs.

 

CONSEIL D’EXPERT

 

Jusqu’à 3 ans de prison et 300 000 € d’amende ! Ne craignons pas de le redire, la contrefaçon constitue un délit passible de sanctions pénales dont le consommateur n’a pas toujours conscience malgré les nombreuses mises en garde.
Pour les marques de luxe et les créateurs, déjà confrontés aux produits de contrefaçons bas de gamme et au phénomène des dupes dont nous avons déjà parlé, la multiplication récente des superfakes représente donc un défi de plus.
De tels fléaux conjugués les obligent à pratiquer un sport dont ils se passeraient bien, la chasse aux faux, à investir dans des dispositifs de sécurité dès la première esquisse du produit, puis sa fabrication (puce, marquage spécial…) et à mettre en place des systèmes de surveillance appropriés. Avec une difficulté supplémentaire quand il s’agit de superfakes, car ces produits ne sont pas mis en vente directement mais juste « montrés » sur des vidéos ou des photos vantant leurs mérites, complexifiant la tâche des algorithmes. Il n’existe aucune description précise du produit et la transaction commerciale n’a lieu que sous le sceau de la confidentialité. La promotion d’un tel article se fait ensuite de bouche-à-oreille car le client satisfait, tel un micro-ambassadeur, en parlera autour de lui.

Aussi nous conseillons aux titulaires de droits de mettre en place une surveillance systématique de la toile afin d’avoir connaissance des utilisations faites de leur marque ou de leurs dessins et modèles sur internet, les réseaux sociaux et les applis mobiles notamment. Celle-ci doit être constante et régulièrement mise à jour pour nettoyer l’Internet de façon optimale. Mais c’est bien souvent un achat mystère qui permettra d’identifier clairement le superfake et d’investiguer pour remonter la filière.

Par Raphael TESSIER et Sophie AUDOUSSET pour EBRAND France.

 

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