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Aux termes de la décision[1] rendue le 11 janvier 2019 par la Division d’annulation de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle[2], et sous réserve de l’absence de recours, il serait désormais possible d’enregistrer et d’utiliser la marque BIG MAC au sein de l’Union européenne pour désigner aussi bien des sandwiches que des services de restauration. Pour savoir dans quel contexte et comment MCDONALD’S a perdu l’usage exclusif de sa marque BIG MAC, nous avons interviewé Laure Bourdeau, juriste en droit de la propriété intellectuelle au sein d’EBRAND France.

 

LES FAITS

Le 11 avril 2017, SUPERMAC’S, une chaîne de restauration rapide irlandaise, fondée en 1978, a déposé une demande auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (ci-après « EUIPO »), visant à obtenir la déchéance totale de la marque de l’Union européenne BIG MAC N°62638 (marque verbale), appartenant à MCDONALD’S, pour défaut d’usage sérieux pendant une période continue de cinq ans après la date du 22 décembre 1998, date de son enregistrement, pour les produits et services désignés dans l’enregistrement, à savoir ceux des classes 29[3], 30[4]et 42[5], de la classification de Nice.

Ce n’est pas le premier litige relatif à une marque de l’Union européenne qui oppose la grande multinationale à la chaîne irlandaise. En effet, en 2014, MCDONALD’S avait formé une opposition à l’encontre de l’enregistrement de la marque de l’Union européenne DE L’SUPERMAC, déposée par SUPERMAC’S dans les classes 29, 30 et 42. Dans une décision du 17 juin 2016, la Division d’opposition de l’EUIPO, avait fait partiellement droit à l’opposition en rejetant l’enregistrement de la marque dans les classes 29 et 30, visant des denrées alimentaires et autorisant l’enregistrement de la marque pour les services de restauration.

Or, le 11 janvier 2019, SUPERMAC’S a pris sa revanche sur MCDONALDS. Dans sa décision de 2019, la Division d’annulation de l’EUIPO a considéré que la marque de l’Union européenne BIG MAC devait être révoquée dans son intégralité pour défaut d’usage sérieux de la marque pour les produits et services désignés dans l’enregistrement, pendant une durée continue de cinq ans.

QUELS MOTIFS ONT ÉTÉ INVOQUÉS PAR LA DIVISION D’ANNULATION POUR ABOUTIR À UNE TELLE SOLUTION ?

Selon la Division d’annulation, les éléments de preuve fournis par MCDONALD’S étaient insuffisants pour démontrer que la marque de l’Union européenne BIG MAC a été sérieusement utilisée sur le territoire de l’UE au cours de la période visée, à savoir entre avril 2012 et avril 2017. Dans son analyse, l’Office a d’abord rappelé les conditions de la déchéance de marque, énoncées à l’article 58(1)(a) du Règlement UE 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne (ci-après « RMUE »).

Selon cet article, le titulaire de la marque de l’Union européenne est déclaré déchu de ses droits si, « pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage ». La notion d’usage sérieux est la notion déterminante dans l’appréciation de la déchéance de marque.

QUE RECOUVRE VÉRITABLEMENT CETTE NOTION ? ET QUELLE EST SON ÉTENDUE ?

Pour mémoire, la notion d’usage sérieux a été explicitée par plusieurs décisions et notamment la décision Minimax rendue 11 mars 2003 par la CJCE[6] dans laquelle la Cour affirme que :  « L’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque. »

Les articles 19(1) et 10(3) du RDMUE[7] précisent que les preuves de l’usage doivent établir le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage de la marque contestée pour les produits ou services pour lesquels elle est enregistrée. Tous les éléments sont donc bien pris en compte, et notamment la nature des biens et services, les caractéristiques du marché concerné, l’étendue géographique de l’usage ainsi que son volume commercial.

Or, c’est bien la démonstration de l’étendue de l’usage sérieux de la marque qui a fait faillir l’argumentation de MCDONALD’S. En effet, afin de prouver l’usage sérieux de la marque, MCDONALD’S devait certes apporter des preuves d’un usage de la marque pour les produits et services désignés dans l’enregistrement, mais la seule et simple preuve d’un usage quelconque de la marque s’avérait largement insuffisante. L’Office attendait de la part de MCDONALD’S la fourniture d’éléments précis, détaillés.

En somme, chaque preuve apportée par le titulaire de la marque, devait permettre de contextualiser cet usage, et ainsi de répondre aux questions suivantes :

  • Où ? Il s’agit ici de l’étendue géographique, territoriale de l’usage de la marque ;
  • Quand ? Le « quand » représente la durée de l’usage, mais aussi sa fréquence ;
  • Comment et avec quel résultat ? Comment, en pratique, s’est matérialisé l’usage ? La preuve d’une exploitation commerciale de la marque est ici attendue et l’impact de cet usage commercial, notamment sur les ventes.

Or, l’EUIPO rappelle ici la jurisprudence STATEGI du 5 octobre 2010[8], dont il ressort que les indications sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage sont des éléments appréciés de façon cumulative. En conséquence, si un des éléments fait défaut, les preuves d’usage se trouveront rejetées, car jugées insuffisantes.

En l’espèce, le titulaire de la marque avait apporté quatre types de preuve :

  • des affidavits[9] signés par les représentants des sociétés MCDONALD’S en Allemagne, France et Royaume, auxquels étaient associées des emballages de sandwich, des brochures promotionnelles sur lesquelles figuraient des menus ;
  • des brochures et impressions d’affiches publicitaires, en allemand et français et anglais, montrant les sandwichs et leurs emballages, la marque étant ici associée aux sandwichs ;
  • de nombreuses impressions de sites internet enregistrés avec le nom de domaine <mcdonalds> sous plusieurs extensions en lien avec des pays de l’Union européenne, montrant différents sandwichs et notamment les sandwichs BIG MAC ;
  • une impression du site Internet wikipedia.org fournissant des informations sur le hamburger BIG MAC, son histoire ou encore sa composition.

S’agissant d’abord des affidavits, selon l’Office, la valeur probante de ce type de preuve est plus faible que celle de preuves indépendantes dans la mesure où la perception de la partie impliquée dans le litige pourrait être affectée par ses intérêts personnels. L’appréciation finale dépend donc de l’existence d’autres preuves provenant de sources indépendantes, objectives, qui viendraient étayer ces affidavits, tels que des étiquettes et emballages.

Or, les brochures, emballages et impressions ont été jugés insuffisamment complets pour soutenir les affidavits, et notamment les données sur les ventes et le chiffre d’affaires, qui étaient énoncées sur ces déclarations.

Pour ce qui est des impressions des sites Internet apportées à titre de preuve, selon l’EUIPO, la simple présence de la marque sur ces sites ne suffit pas à prouver l’usage sérieux. Il faut qu’elle soit accompagnée par des informations sur le lieu, la date et l’étendue de l’usage, ou que ces éléments soient fournis autrement. Notamment, l’Office attendait ici des éléments sur le trafic Internet et, en particulier des données sur les visites reçues durant la période visée, sur l’heure de ces visites et sur les pays à partir desquels les visiteurs se sont connectés. Cet élément de preuve comprend un autre écueil, celui de ne pas fournir de précisions sur les possibles achats ou commandes et le processus de commande associé, donc sur l’exploitation commerciale de la marque pour les produits et services concernés.

Enfin, de la même manière que les affidavits, l’EUIPO considère que Wikipédia ne peut être accueillie comme une source d’information fiable que dans la mesure où d’autres preuves indépendantes viennent à son soutien, et ceci parce que Wikipédia peut être modifié par les utilisateurs qui affaiblit sa force probante. Or, en l’espèce, les autres éléments de preuve ne fournissent pas d’éléments sur l’étendue de l’usage de la marque.

Il ressort de l’analyse de l’Office qu’aucun des éléments de preuve communiqués ne fournit d’information :

  • sur la commercialisation des produits marqués, les éventuelles transactions commerciales ;
  • sur la durée pendant laquelle les produits ont été proposés, notamment sur les différents sites Internet ;
  • sur les ventes réelles réalisées ;
  • sur les clients potentiels ;
  • sur les services visés en classe 42.

En conséquence, pour l’EUIPO, MCDONALD’S n’a pas réussi à démontrer la preuve de l’usage sérieux de la marque BIG MAC sur le territoire de l’Union européenne durant la période concernée, et doit, à ce titre, être déchu de ses droits sur la marque. La présente décision est l’occasion de rappeler l’analyse rigoureuse et l’appréciation exigeante de l’EUIPO quant à la notion d’usage sérieux de la marque.

QUEL EST L’EFFET DE LA DÉCHÉANCE DE LA MARQUE BIG MAC ?

Par cette décision MCDONALD’S perd le droit d’usage exclusif du signe BIG MAC au sein de l’Union européenne, et ceci, rétroactivement, à compter de la date de la demande en déchéance, donc, en l’espèce, à compter du 11 avril 2017. Le signe BIG MAC se trouve donc plus protégé légalement au sein de l’Union européenne. Cependant, sous certaines réserves et exceptions, l’effet rétroactif de la déchéance n’affecte pas les décisions en contrefaçon ayant acquis l’autorité de la chose jugée et exécutées antérieurement, ainsi que les contrats conclus antérieurement à la décision, dans la mesure où ils ont été exécutés antérieurement à cette décision (Article 62(3) RMUE). Reste encore la possibilité pour MCDONALD’S de former un appel dans les deux mois à compter du jour de la notification de la décision, en sachant que ce recours a un effet suspensif (Article 57 (1) RMUE).

Une autre nuance à apporter à cette décision et qui n’est pas des moindres, vient du fait que la multinationale, à défaut d’avoir été prudente dans l’apport de ses éléments de preuve, l’avait été dans ses enregistrements de marque. En effet, MCDONALD’S s’était, à juste titre, prémunie contre une action à l’encontre de la marque BIG MAC en enregistrant deux marques de l’Union européenne :

  • la marque verbale BIG MAC[10], enregistrée le 6 octobre 2017, dans les classes 29, 30 et 43 ;
  • la marque verbale GRAND BIG MAC[11], enregistrée le 16 mars 2017, uniquement en classe 30.

ALORS, Y-A-T IL VÉRITABLEMENT PERTE DE L’USAGE EXCLUSIF DE LA DÉNOMINATION BIG MAC AU SEIN DE L’UNION EUROPEENNE ?

Pas si sur ! En pratique, MCDONALD’S détient toujours des droits sur les marques de l’Union européenne BIG MAC et GRAND BIG MAC enregistrées en 2017. L’effet de la décision de la présente décision n’est donc que très relatif !

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QUELQUES CONSEILS AUX TITULAIRES DE MARQUES

1. En amont, lors du dépôt de la marque, ne surtout pas négliger le choix du libellé

Dans cette affaire, toutes les preuves apportées par MCDONALD’S ont été jugées insuffisantes. Or, ses fameuses preuves concernaient les classes 29 et 30 (notes 1 et 2) et non la classe 42, relative aux services de restauration. Ainsi, même si les preuves avaient été accueillies, l’EUIPO aurait certainement conclu à la déchéance partielle de la marque, la validant pour les classes 29 et 30, et la révoquant pour la classe 42. L’étape de la délimitation du libellé est ainsi cruciale et déterminante. Mieux vaut privilégier un libellé restreint et précis plutôt qu’un libellé large, risquant d’affaiblir la marque et de faire tomber la marque en cas d’action. À ce titre, il est d’ailleurs conseillé de ne pas reprendre strictement l’énoncé des classes (de la classification de Nice) mais plutôt de le retravailler, afin de le rendre plus précis et adapté aux produits et services objets de l’activité.

2. En aval, lors de l’usage de la marque, s’assurer d’utiliser la marque pour tous les produits et services désignés dans l’enregistrement 

Si la marque fait l’objet d’un litige :

  • Selon l’EUIPO, la simple preuve de la présence de la marque sur un site Internet ne suffit pas, en elle-même, à prouver l’usage sérieux de la marque. En pratique, il est conseillé aux titulaires de marques de conserver des données statistiques, permettant d’établir notamment la fréquence de consultation du site Internet, le nombre de visites, la localisation géographique des visiteurs,
  • Ensuite,Wikipédia, et, plus largement, les sites Internet collaboratifs, qui peuvent être modifiés par des contributeurs enregistrés, n’ont pas une réelle force probante en eux-mêmes. Ils seront considérés comme pertinents s’ils sont renforcés par d’autres éléments de preuve indépendants et donc objectivement pertinents,
  • De même que Wikipédia, des déclarations signées par les représentants du titulaire de la marque ou ses employés ont moins de poids que des preuves indépendantes.

Ainsi, en cas de litige, mieux vaut privilégier des preuves objectives, indépendantes, dont leur force probante ne peut pas être remise en question par le soupçon d’un quelconque intérêt personnel.

Dans l’idéal, par prudence, un titulaire de marque devrait non seulement utiliser la marque pour tous les produits et services visés dans l’enregistrement, comme indiqué précédemment, mais plus encore, conserver tous les éléments de preuve susceptibles d’attester de l’usage commercial de sa marque et d’établir les circonstances précises de cet usage (notamment sa durée, son étendue géographique, sa matérialisation et son étendue quantitative).

[1]Décision d’annulation N°14788

[2]Créé en 1994 et nommé « Office de l’harmonisation dans le marché intérieur » (OHMI) jusqu’en mars 2016, l’EUIPO est une agence de l’Union européenne chargée de gérer les systèmes d’enregistrement des marques et dessins et modèles, valables dans les 28 États membres.

[3]Classe 29 : Aliments à base de viande, porc, poisson et volaille, sandwiches à la viande, sandwiches au poisson, sandwiches au porc, sandwiches au poulet, fruits et légumes conservés et cuits, œufs, fromage, lait, produits à base de lait, pickles, desserts.

[4]Classe 30 : Sandwiches comestibles, sandwiches à la viande, sandwiches au porc, sandwiches au poisson, sandwiches au poulet, biscuits, pain, gâteaux, biscuiterie, chocolat, café, succédanés du café, thé, moutarde, gruau d’avoine, pâtisserie, sauces, assaisonnements, sucre.

[5]Classe 42 : Services fournis ou liés à l’exploitation et à la franchise de restaurants et d’autres établissements ou infrastructures de restauration pour la consommation et le ‘drive-in’; préparation de plats à emporter; conception pour le compte de tiers de ce type de restaurants, établissements et autres infrastructures; planification et conseils en matière de construction de restaurants, pour le compte de tiers.

[6]11/03/2003, C-40/01, Minimax, EU:C:2003 :145

[7]Règlement délégué sur la marque de l’Union européenne.

[8]05/10/2010, T-92/09, STRATEGI, EU:T:2010:424, §43

[9]Déclaration solennelle devant un officier de justice.

[10]Marque n°17305079

[11]Marque n°16485674

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