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Le signe “Booking.com” n’est pas générique pour la Cour suprême. Explications…

 

Par un arrêt du 30 juin 2020, la Cour suprême américaine a admis la validité des marques « Booking.com ». Dans cette affaire, se posait la question de savoir si les demandes de marques « Booking.com » satisfaisaient la condition essentielle de distinctivité nécessaire pour prétendre à un enregistrement fédéral de marque. Si l’Office américain des marques et des brevets (ci-après l’USPTO) a répondu négativement à cette question, ce n’est pas le cas de la Cour suprême qui a considéré que « Booking.com » était bien distinctif.

Rappel : Le caractère distinctif désigne l’aptitude d’une marque à distinguer les produits et services de son titulaire de ceux de ses concurrents. Le but est que le public puisse être certain de l’origine du produit qu’il achète ou du service auquel il souscrit. Aussi, pour être enregistrée, une marque doit remplir cette condition.

Toutefois, certaines marques, pourtant descriptives peuvent acquérir ce caractère distinctif si elles sont perçues dans l’esprit du public comme identifiant les biens ou les services d’un titulaire déterminé. Cette acquisition du caractère distinctif est appelée aux USA « acquired distinctiveness », littéralement « distinctivité acquise » ou encore « secondary meaning », « signification secondaire ». Il s’agit de l’équivalent, en France, de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage (Art. L. 711-2 du CPI).

LES FAITS

La société néerlandaise de réservation de voyages en ligne, BOOKING.COM BV, titulaire du nom de domaine du même nom, avait déposé des demandes d’enregistrement de quatre marques pour des services liés au voyage. Ces demandes ont été rejetées par l’USPTO qui considérait les termes comme génériques. L’affaire fut alors portée devant le U.S District Court for the Eastern District of Virginia par la société BOOKING.COM B.V, puis devant la Cour d’appel par l’USPTO. Or, tous deux ont considéré que le groupe de mots « Booking.com » était descriptif mais pas générique. A ce titre, « Booking.com » pouvait donc être enregistré à titre de marque. La Cour Suprême, reprenant ce raisonnement a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel.

L’ESSENTIEL

LE CARACTERE GENERIQUE DE « BOOKING.COM », BASE DE L’ARGUMENTATION DE L’USPTO

Rappel : Un terme est générique quand il désigne une « classe » de produits ou de services. Il n’est alors pas en mesure de distinguer les biens et services d’un titulaire de ceux d’un autre et n’est donc pas distinctif. En conséquence, ce terme ne peut être protégé en tant que marque.

Pour l’USPTO le groupe de mots « Booking.com » est générique pour les services visés. Son raisonnement se fonde sur une application de la décision Goodyear’s India Rubber Glove Mfg. Co. v. Goodyear Rubber Co., 128 U. S. 598 (1888) dans laquelle il a été jugé qu’une désignation générique d’entreprise ajoutée à un terme générique ne confère pas d’éligibilité à une marque. L’USPTO compare alors « Booking.com » à « Booking Company » et considère que :

  • « Booking» est un terme générique pour désigner des services de réservation de voyages ;
  • « .com » est un domaine de premier niveau Internet générique qui fait référence à site web commercial. Il ne confère aucune signification supplémentaire qui permettrait de distinguer les services d’un fournisseur de ceux d’un autre.

Pour l’USPTO, les clients comprendraient que « Booking.com » désigne principalement un service de réservation en ligne de voyages, de circuits et d’hébergements et non service associé à telle société. La combinaison de ces deux éléments ne peut donc être que générique.

LE CRITERE DETERMINANT : LA PERCEPTION DES CONSOMMATEURS

Pour la Cour, le raisonnement de l’USPTO est erroné. Celle-ci retient au contraire que le caractère générique d’un signe composé sous la forme « generic.com » dépend de la perception qu’ont les consommateurs de ce terme en tant que nom d’une classe de produits ou de services, ou, au contraire, en tant que terme capable de distinguer des produits ou services. Et c’est la perception du groupe de mots pris dans son ensemble qui doit être analysée. Un terme sous la forme « generic.com » n’est générique pour une catégorie de produits ou de services que s’il a cette signification pour les consommateurs. Si « Booking.com » était perçu en tant que nom de la classe des services de réservation d’hôtels en ligne, la Cour relève qu’un consommateur à la recherche d’une source fiable de services de réservation d’hôtels, s’informerait sur le fournisseur « Booking.com » préféré d’un voyageur régulier. Au contraire, un consommateur conscient qu’une seule entité peut occuper un nom de domaine Internet particulier pourra en déduire que « Booking.com » se réfère à une société précise.

Or, il résulte d’un sondage mené auprès de consommateurs que « Booking.com » est perçu comme un site web spécifique permettant la réservation de voyages et non comme désignant la classe des services de réservation d’hôtels en ligne. « Booking.com » est donc certes descriptif des services impliquant un « booking » (une réservation) d’hébergement effectués sur le nom de domaine du même nom. Mais, pour ces services, le terme est perçu par le public comme une marque apte à distinguer les produits et services de ceux des concurrents. Il a donc acquis un caractère distinctif permettant son enregistrement à titre de marque grâce à l’acquisition d’une signification secondaire (« secondary meaning ») s’agissant des services de réservation hôtelière.

La conséquence : « Booking.com » n’est pas générique et peut être éligible à un enregistrement fédéral de marque.

L’IMPACT DE LA DECISION : UNE VAGUE DE DEPOT DE MARQUES COMPOSEES DE TERMES GENERIQUES ASSOCIES AU SUFFIXE « .COM » DEPUIS LE 30 JUIN !

L’Office américain avait déjà admis par le passé l’enregistrement de marques composées de termes génériques associés au nom de domaine de premier niveau générique « .com ». C’est le cas des marques « Art.com » et « Dating.com  » citées dans la décision de la Cour Suprême. Mais, depuis le 30 juin 2020, un vent de liberté semble souffler pour les marques construites sur cette forme. En effet, les demandeurs de marque ont saisi cette occasion pour déposer des marques comme « Translations.com », « Recruiter.com » ou pour le sujet qui nous concerne « Legalupdates.com  », « Onlinepatentattorney.com  », « Patentassociate.com  ». Toutes ces marques ont été déposées à compter du 30 juin 2020. Le dépôt de noms de domaine en tant que marque a bien le vent en poupe aux USA ! Et l’on comprend l’engouement pour de telles marques : une société titulaire d’un nom de domaine composé de termes génériques voit ici la possibilité d’obtenir un monopole sur le terme et de pouvoir défendre son nom de domaine sur la base du droit des marques.

MAIS ATTENTION A DE TELS DEPOTS !

Le dépôt de marques fédérales composées de termes génériques et d’une extension générique de premier niveau tel que le « .com » doit quand même être réalisé en connaissance de certains éléments.

  1. Ces termes sont-ils bien perçus par le public comme identifiant tel service particulier fourni par tel site, telle société et non uniquement la classe de ces services ?  Cela reste à prouver.
  1. De telles marques seront nécessairement descriptives et faibles. Elles seront donc plus difficiles à défendre. En particulier, la preuve d’un risque de confusion, qui permet de caractériser une atteinte à la marque, sera plus difficile à rapporter. C’est d’ailleurs ce que précise la Cour concernant la marque « Booking.com ».
  1. Les concurrents de ces marques seraient en mesure d’utiliser les mêmes termes génériques pour décrire leurs propres services. Dans le cas d’espèce, la validité de « Booking.com » n’empêchera pas l’enregistrement de marques « Booking » par d’autres sociétés de « Booking ». Contrairement à ce que craignait l’USPTO, le terme « Booking » restera libre d’usage, BOOKING.COM B.V n’ayant obtenu aucun monopole sur ce nom.

 

Source : USPTO v. Booking.com B.V., 19-46

Par Laure BOURDEAU pour EBRAND France

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